Lotus 97T: La F1 icônique des premières victoires en Grand Prix d’Ayrton Senna

Avec son emblématique livrée noire et or aux couleurs de John Player Special, la Lotus 97T est aujourd’hui un mythe roulant. Elle n’a pas décroché de titre mondial mais a permis à deux grands pilotes au destin tragique de briller à son volant. Gérard Ducarouge, son génial ingénieur-concepteur, avait offert avec cette Lotus F1 de 1985 une formidable machine de guerre à Ayrton Senna et Elio de Angelis. 35 ans plus tard personne ne les a oublié.

Lotus 97T, une monoplace conçue autour du V6 turbo Renault

Quelques semaines avant sa mort brutale en décembre 1982, Colin Chapman avait opéré un grand changement au sein de son équipe. A partir de 1983, ses Formules 1 seraient propulsées par des V6 Renault turbocompressés. Une véritable révolution de palais pour le Team Lotus. En effet l’équipe n’utilisait que des V8 Cosworth atmosphériques depuis 1967.

Le turbo, passage obligé pour conserver une Lotus F1 compétitive

C’est en 1977 que Renault prît le pari de concevoir un moteur de F1 turbocompressé. Les deux premières saisons furent très laborieuses avec énormément de casses. Les Anglais, prompts à se moquer de ces monoplaces jaunes fumantes, se ravisèrent lorsque Jean-Pierre Jabouille remporta la victoire lors du Grand Prix de France 1979.

Peu à peu la concurrence se lança à son tour dans cette architecture moteur désormais prometteuse. Ferrari, BMW, Porsche ou encore Honda suivaient les pas de la marque au losange.

Sentant son écurie décliner avec ses V8 atmosphériques, Colin Chapman savait qu’il devait s’offrir les services d’un moteur turbo. C’est ce qu’il fît avec Renault pour la saison 1983. Hélas la vie ne lui aura pas laissé le temps d’en constater les résultats. Il décède d’une crise cardiaque le 16 décembre 1982.

1983, une année de transition pour le team Lotus-Renault

Dans un premier temps, seul Elio de Angelis dispose d’un V6 Renault. Nigel Mansell, l’autre pilote de l’équipe, doit se contenter d’un V8 Cosworth jusqu’à la mi-saison.

L’Italien domine allègrement son équipier en qualifications mais est accablé par les ennuis mécaniques. A partir du Grand Prix de Grande-Bretagne, la Lotus 94T est engagée en course avec un V6 Renault pour les deux pilotes. Ce châssis a été conçu par Gérard Ducarouge, le nouveau directeur technique. Pour la première fois de l’histoire de son équipe ce n’est pas Colin Chapman qui occupe ce poste.

Quatrième à Silverstone, celui qui deviendra champion du monde en 1992 offre ses premiers points à l’association Lotus-Renault. A Brands Hatch, théâtre du Grand Prix d’Europe, c’est encore mieux. De Angelis signe la pole position mais doit abandonner sur casse moteur. En revanche c’est beaucoup mieux pour Mansell qui monte sur la troisième marche du podium.

1984, De Angelis performe, Mansell claque la porte de Lotus F1

Pour cette deuxième saison avec Renault, les progrès issus du travail de l’ingénieur français se confirment. De Angelis termine à 11 reprises dans les points et monte sur 4 podiums.

Grâce à cette régularité il décroche la troisième place finale de la saison derrière les intouchables McLaren-TAG-Porsche. Lotus devance désormais l’équipe d’usine de son fournisseur de moteurs.

Hélas pour le Romain, Niki Lauda et Alain Prost ne lui ont pas laissé l’opportunité de remporter la moindre course.

Pour Mansell c’est un peu plus compliqué. En raison d’un pilotage plus brouillon, il marque trois fois moins de points que son compagnon d’écurie. Lassé par ses contre-performances, le moustachu claque la porte et file en direction de Williams-Honda pour la saison 1985.

Chez Lotus on ne s’émeut pas outre mesure de ce départ. On se réjouit plutôt de l’arrivée d’un pilote brésilien particulièrement prometteur.

En coulisse, Ducarouge et ses équipes travaillent d’arrache-pied pour offrir à leur future recrue une voiture à la mesure de son talent. La Lotus 97T est en gestation.

1985: Recrutement d’Ayrton Senna pour piloter la Lotus 97T

Début 1984, un jeune pilote sud-américain du nom d’Ayrton Senna da Silva fait ses débuts en F1. Sa très modeste Toleman ne lui permet en théorie pas de briller face à des pilotes beaucoup mieux armés que lui.

C’était sans compter sur la détermination et l’immense talent dont dispose ce jeune homme aux abords taciturnes. Après trois podiums sensationnels, dont une deuxième place légendaire à Monaco, il va très vite devenir l’objet de toutes les convoitises.

Des tractations aux conséquences rocambolesques

C’est en juillet 1984 que Peter Warr, directeur du Team Lotus, accueille pour la première fois Senna à Wymondham. Ne souhaitant pas laisser d’échapper cette pépite il lui propose un contrat de trois ans pour les saisons 1985, 86 et 87.

Ayrton Senna est engagé avec Toleman pour 1985 mais il sait que cette modeste équipe ne lui permettra pas de progresser dans la hiérarchie.

Sans en informer son patron Alex Hawkridge qui l’apprendra par la presse, il décide donc d’accepter l’offre de Lotus. La présence de Gérard Ducarouge qu’il porte en haute estime a sérieusement penché dans la balance au moment de signer.

Furieux d’avoir été placé devant le fait accompli, Hawkridge en veut énormément à son pilote. Prétextant un non-respect des clauses de leur contrat il interdit à Senna de piloter à Monza. C’est Pierluigi Martini qui prend le volant de la Toleman pour son Grand Prix national. Mais nettement moins talentueux que le Brésilien il échoue aux portes de la qualification. Une maigre consolation pour un Senna fortement blessé par cette décision.

La Lotus de 1985 ne manque pas d’atouts

Pour sa troisième saison avec Lotus, Ducarouge n’est pas parti d’une feuille blanche. La Lotus 97T est une évolution de la 95T qui a permis à De Angelis et Mansell de se distinguer en 1984.

Peter Warr, Elio de Angelis, Ayrton Senna et Gérard Ducarouge Lotus-Renault 1985
Peter Warr, Elio de Angelis, Ayrton Senna et Gérard Ducarouge Lotus-Renault 1985

Afin de la mettre en conformité avec le nouveau règlement, ses pontons sont rallongés et de multiples ailerons sont supprimés. Pour la première fois la fabrication de la coque intègre l’utilisation de matériaux composites. La monoplace gagne ainsi en légèreté et en robustesse.

L’ajout de petits ailerons devant les roues arrières contribue aussi au meilleur équilibre aérodynamique de la voiture.

Mais c’est sous le capot que l’on trouve le principal atout de cette Lotus. Grâce au travail des motoristes de Renault, Senna et De Angelis vont disposer en qualifications du moteur le plus puissant du plateau. En début de saison l’EF4B développe 760 chevaux à 11500 tours/minutes. Son évolution, l’EF15 atteint les 810 chevaux.

Le roi de la pole a trouvé sa reine

Dans l’exercice des qualifications où il excellera tout au long de sa carrière, Senna va exploiter à la perfection toutes les qualités de sa Lotus 97T.

Sur 16 courses il va s’élancer à 7 reprises depuis la première place. Elio de Angelis quant à lui, signera une pole position supplémentaire pour Lotus à Montréal.

Grâce à ses excellentes qualifications, Senna va mener la majeure partie des kilomètres de course de cette saison 1985 loin devant Keke Rosberg et le champion du monde Alain Prost.

Une saison en fanfare mais mal récompensée

Malgré son inexpérience en F1, Senna va entamer de manière tonitruante sa collaboration avec l’équipe Lotus. Dès la deuxième course à Estoril il réussit un sans-faute qui le conduit vers sa première victoire en F1. Dans des conditions dantesques il inflige une véritable correction à ses adversaires. Sur la lancée de ce succès retentissant il aurait pu capitaliser et se battre pour le titre. Une multitude d’ennuis vont l’en empêcher.

Senna brille mais De Angelis engrange

A Imola lors du Grand Prix suivant il signe encore une fois la pole et mène la quasi-totalité de la course. Malheureusement une panne d’essence vient anéantir tous ses espoirs de lever la coupe.

Ayrton Senna et Elio de Angelis Imola 1985 Lotus 97T
Ayrton Senna et Elio de Angelis Imola 1985 Lotus 97T (DR)

Malgré tout la victoire revient à l’autre pilote de la lotus 97T. Toutefois Elio De Angelis s’impose sur tapis vert après la disqualification de Prost pour un poids non conforme de sa McLaren.

A Monaco Senna part en pole pour la troisième fois consécutive. Et pour la troisième fois consécutive il mène tous les tours qu’il aura parcouru. Cette fois c’est le bris de son moteur qui le contraint à renoncer. De Angelis, troisième, monte sur son troisième podium depuis le début de la saison.

Au Canada, la Lotus 97T monopolise la première ligne avec De Angelis en pole devant Senna. L’Italien sauve une cinquième place finale malgré des problèmes de sous-virage et des pneus détruits en fin de course. Pour le Brésilien, ses chances de bien figurer s’évanouissent dès le sixième tour. Retardé par une réparation de fortune d’une bride de raccordement de son turbo il boucle la course dans les profondeurs du classement.

A Detroit Senna est de nouveau en pole position avec plus d’une seconde d’avance sur Mansell son plus proche poursuivant. En tête dans les premiers tours il décide de s’arrêter aux stands dès la septième boucle. En effet il estime que son choix de pneus Goodyear est mauvais et qu’il ne pourra pas lutter contre le retour de Keke Rosberg.

Le couteau entre les dents il était remonté jusqu’en quatrième place et menaçait Michele Alboreto lorsqu’une rupture de freins l’envoie dans le décor. Toujours aussi régulier De Angelis marque les deux points de la cinquième place.

La Lotus d’Elio De Angelis toujours en lice pour le titre mondial

Au Grand Prix de France sur le circuit Paul Ricard, Senna est troisième en lutte avec Keke Rosberg et Nelson Piquet lorsqu’il perd beaucoup de temps au stand à cause d’un problème de boite de vitesses. Il peut repartir mais achève sa course après une violente sortie de piste. La casse de son V6 turbo a projeté de l’huile sur ses pneus le privant de toute adhérence.

Avec une nouvelle cinquième place De Angelis fait la course dans le peloton de tête pour le gain du titre de champion du monde. A ce stade de la saison il est deuxième ex-aequo avec Prost avec 26 points. Seulement cinq points le séparent du leader Michele Alboreto. Le compteur de Senna n’affiche toujours que les neufs points marqués à Estoril. Un classement qui n’est pas représentatif de la domination du Brésilien.

Retour en grâce de Senna et de sa Lotus noire et or

Au coeur de l’été entre les Grands Prix de Grande-Bretagne et des Pays-Bas, les Lotus 97T rentrent un peu dans le rang lors des séances de qualifications. Après deux nouveaux zéros pointés à Silverstone et Hockenheim pour les sociétaires de Lotus, Senna retrouve enfin le chemin du podium en Autriche avec la deuxième place.

Ce résultat marque le début d’une nette inversion de réussite entre De Angelis et Senna.

Durant cinq Grands Prix d’affilée le Pauliste monte à chaque fois sur le podium avec en point d’orgue une deuxième victoire à Spa-Francorchamps. Un succès qui lui permet de passer devant son équipier au championnat.

Hélas Alboreto et surtout Prost qui enchaîne les grosses performances lors des manches estivales ne l’ont pas attendu.

A Brands Hatch, lors d’un Grand Prix marqué par la première victoire de Mansell et le premier titre d’Alain Prost, Senna, deuxième, et De Angelis, cinquième, marquent leurs derniers points de la saison.

Ils se classent respectivement quatrième et cinquième du classement général et Lotus quatrième au championnat des constructeurs. Les monoplaces noires sont coiffées sur le poteau par les Williams-Honda qui marquent de gros points à Kyalami et en Australie.

La Lotus 97T: Une machine à gagner souvent trop fragile

Du temps de Colin Chapman, les monoplaces Lotus étaient réputées pour leur vélocité mais aussi pour leur fragilité. Ne disait-il pas qu’une bonne voiture de course doit tomber en morceau une fois passée la ligne d’arrivée en vainqueur?

L’adage de la marque britannique c’est encore une fois vérifiée lors de cette saison 1985.

Malgré son inexpérience Ayrton Senna s’est véritablement révélé au volant de la 97T. Avec un peu plus de réussite il aurait sans doute pu se mêler à la course au titre contre Alboreto et Prost.

Elio De Angelis a fait les frais de l’éclosion de ce diamant brut. Se sentant délaissé par son équipe il décide de partir chez Brabham-BMW en 1986. Une décision très lourde de conséquence pour le jeune Romain qui trouvera la mort quelques mois plus tard à son volant lors d’une séance d’essais privés au Castellet.

Aujourd’hui la Lotus 97T évoque pour nombre de passionnés une monoplace légendaire. Sa magnifique livrée, ses pilotes exceptionnels et aux destinées cruelles y sont évidemment pour beaucoup.