Thierry Boutsen: Qui est le dernier vainqueur belge au volant d’une Formule 1 ?
Lorsqu’on évoque la Belgique en Formule 1 le nom de Thierry Boutsen n’est pas forcément le premier qui vient à l’esprit. Le circuit de Spa-Francorchamps ou la légende du Mans Jacky Ickx sont certainement plus cités que le Bruxellois. De nature discrète et par conséquent souvent oublié il n’en demeure pas moins un pilote emblématique des années 80-90. Il est à ce jour le dernier Belge à s’être imposé en Formule 1 et possède un palmarès qui ferait rêver nombre d’apprenti-pilotes.
Thierry Boutsen: Une si longue attente avant sa première victoire
A la fin des années 80, Thierry Boutsen a du attendre son 95ème départ en Grand Prix pour s’imposer. Cela le place au 102ème rang sur 110 au palmarès des victoires tardives. Un « record » pulvérisé par Sergio Pérez à Sakhir en 2020.
Avant d’atteindre ce rêve si convoité il a franchi méthodiquement tous les échelons de la monoplace. Grâce à son talent et à sa ténacité il est devenu l’un des pilotes les plus convoités de cette époque. Pourtant il était bien difficile d’exister aux grandes heures du duel Alain Prost – Ayrton Senna.
Un pilote belge à la tête bien faite
C’est à l’âge de 18 ans, en 1975, que Thierry Boutsen met un pied dans le monde du sport automobile. En parallèle de ses études d’ingénieur il s’inscrit dans l’école de pilotage d’André Pilette sur le circuit de Zolder. Doué, il remporte le volant et intègre le championnat de formule VW.
Les victoires arrivent vite et en 1977 il passe en Formule Ford.
Ses compétences techniques sont un avantage. Pour son projet de fin d’étude, il choisit de construire un moteur de course. Il l’utilise sur sa Formule Ford 1600 avec laquelle il va survoler le championnat du Bénélux 1978. Il ne laisse que des miettes à ses adversaires et remporte 15 des 18 manches au calendrier.
En 1979 il passe en Formule 3 Europe et expérimente l’anonymat du peloton en se classant seulement treizième.
Dans l’élite européenne des circuits
L’année suivante est heureusement bien meilleure puisqu’il lutte pour le titre contre Michele Alboreto. A la fin de la saison le Milanais le coiffe au poteau pour 6 points. Mais face à des adversaires comme Corrado Fabi, Mauro Baldi, Philippe Alliot ou encore Philippe Streiff, il n’a pas démérité.
Cette place de vice-champion d’Europe de F3 lui ouvre les portes de la F2, la dernière marche avant la Formule 1. Durant ce championnat 1981 il pilote une March 812 à moteur BMW.
Il termine deuxième de sa première saison de F2 derrière Geoff Lees. Pour autant cette performance ne lui permet pas d’intégrer une équipe de F1 pour la saison 1982.
Au coeur d’un terrible drame au Mans
1981 marque aussi pour lui l’année de sa première participation aux 24h du Mans. Sur une WM-Peugeot il fait équipe avec Serge Saulnier et Michel Pignard. A 24 ans il s’agit de sa première grande épreuve internationale. Il jugera cette expérience à la fois extraordinaire et effrayante tant les vitesses atteintes dans les Hunaudières étaient élevées.
La WM était une voiture en net déficit d’appuis aérodynamiques. Thierry Boutsen perd une roue en pleine ligne droite après seulement une heure de course et se crashe violemment contre le rail de sécurité. Il met près de 800 mètres à s’immobiliser complètement. Hélas, un commissaire de course est tué dans l’accident et deux autres sont fauchés par son bolide en perdition. Cette blessure psychologique le poursuivra tout au long de sa carrière et même encore aujourd’hui.
La F1 à portée de rêve
En F2, Thierry rempile pour une deuxième année, cette fois au volant d’une Spirit 201-Honda. Bien qu’il ne se classe que troisième du championnat derrière Corrado Fabi et Johnny Cecotto, son bilan comptable est bien meilleur qu’en 1981.
Il marque 50 points, signe trois victoires, six podiums et trois pole positions.
Thierry Boutsen devient pilote de F1
C’est l’équipe britannique Arrows qui lui donne sa chance à l’occasion de son Grand Prix national à Spa. La A6 est loin d’être la monoplace la plus performante du plateau mais il ne lui faut pas plus de trois Grands Prix pour prendre la mesure de son équipier, le Suisse Marc Surer.
Pour ses deuxième et troisième Grands Prix il termine à la porte des points mais son score pour cette première saison tronquée restera vierge.
En Endurance il participe également au championnat du monde FIA 1983 qu’il termine à la sixième place avec une victoire aux 1000 km de Monza en compagnie de Bob Wollek.
Grâce au soutien de Ford il est engagé par l’équipe Rondeau pour les 24 heures du Mans. Il fait équipe avec Henri Pescarolo, multiple vainqueur de l’épreuve. Cette seconde tentative dans la Sarthe se solde par un nouvel abandon au coeur de la nuit.
1984: premiers résultats probants en F1
Dès le premier Grand Prix de la saison à Jacarepagua au Brésil, Thierry Boutsen marque son premier point en F1. Il fera encore mieux à Imola et en Autriche avec la cinquième place.
A partir du Grand Prix de Belgique il dispose d’un moteur BMW mais son Arrows n’en demeure pas moins une voiture de fond de grille. Il parvient tout de même à se hisser au quinzième rang de la saison 1984 à égalité de points avec Jacques Laffite.
Exploit au Grand Prix de Saint-Marin 1985
En 1985, Thierry Boutsen rempile pour une troisième saison avec Arrows. La nouvelle A8 lui donne, à de rares occasions, la possibilité de se distinguer. Il termine ainsi quatrième lors du Grand Prix d’Allemagne sur le Nürburgring et deux fois sixième en fin de saison à Brands Hatch et à Kyalami.
Mais c’est à Imola qu’il réalise sa meilleure performance de l’année. Qualifié cinquième juste devant la McLaren d’Alain Prost, il profite des pannes sèches de Piquet, Senna et Johansson pour achever la course sur le podium. Une troisième place qui se transforme en deuxième après la disqualification de Prost pour poids non-conforme. Elio de Angelis et sa Lotus hériteront de la victoire.
Ce jour-là le grand public découvre le visage radieux de ce grand blond bien déterminé à jouer dans la catégorie supérieure.
Une grande victoire et des larmes en sport-prototypes
En endurance il signe une belle victoire aux 24 heures de Daytona sur une Porsche 962 qu’il partage avec Al Unser, A.J. Foyt et Bob Wollek. Puis il s’engage dans le championnat du monde de sport-prototypes au sein du team privé Brun Motorsport.
Lors des 1000 km de Spa disputés le 1er septembre 1985 il fait équipe avec Stefan Bellof. Suite à un ravitaillement qui s’éternise ils perdent la tête au profit de Jacky Ickx, pilote officiel Porsche avec Jochen Mass.
Le couteau entre les dents l’Allemand attaque pour reprendre le commandement de l’épreuve. Il parvient à rattraper Ickx et tente un dépassement dans le raidillon de l’Eau rouge. La manoeuvre échoue et les deux voitures s’accrochent. La Porsche de Bellof tire tout droit et termine sa course folle contre un poteau de tribune avant de s’embrasser.
Bellof qui avait à peine 27 ans comme Thierry est tué sur le coup. Ce jour-là le Belge dira qu’il a perdu un ami.
Une saison 1986 en enfer
Onzième du championnat 1985, Thierry Boutsen aurait pu espérer rejoindre une écurie plus capée qu’Arrows-BMW pour poursuivre sa progression.
Hélas pour le Belge aucun bon baquet ne se libère et c’est encore au volant d’une A8 qu’il entame la saison 1986.
Sans grosse évolution sur le châssis, il n’y a pas de miracle. Thierry Boutsen et ses équipiers Marc Surer puis Christian Danner sont impuissants.
Abonné aux fonds de grille, le Bruxellois achève cette dernière année de collaboration avec Arrows sur un score vierge.
Sa seule consolation de l’année sera sa belle victoire aux 1000 kms de Spa partagée au volant d’une Porsche 962 C avec le pilote allemand Frank Jelinski.
Les portes d’un top team s’ouvrent enfin!
Malgré une saison 1986 dans l’anonymat, l’équipe Benetton-Ford pense à lui au moment de remplacer Gerhard Berger en partance pour Ferrari.
En dépit de nombreux abandons sur défaillances techniques il domine son équipier Teo Fabi et achève le championnat 1987 à la huitième place finale.
1988: David contre Goliath
Durant la saison 1988 archi-dominée par le duo Senna-Prost de McLaren-Honda, Thierry Boutsen est, avec Gerhard Berger, l’un des seuls pilotes à se distinguer.
Auteur de neuf arrivées dans les points dont 5 fois sur le podium, il termine quatrième du championnat. Avec son V8 Ford atmosphérique il se permet de devancer plusieurs pilotes disposant d’un moteur turbo comme Michele Alboreto ou Nelson Piquet. Cette performance lui permet de décrocher le trophée Colin Chapman.
Alessandro Nannini, son nouvel équipier, parvient à faire jeu égal avec lui en qualifications mais subit sa domination en course malgré deux podiums décrochés à Silverstone et à Jerez.
Après presque six saisons en F1, Thierry Boutsen, toujours à la poursuite de sa première victoire, fait désormais partie des pilotes convoités par les plus grandes équipes. En Belgique on se met à rêver d’avoir trouvé en lui le successeur de Jacky Ickx.
1989: Le premier à faire triompher un V10 Renault
La saison 1989 marque la fin des moteurs turbo en F1. Avec ce changement de règlement, Renault décide de faire son grand retour dans la catégorie-reine en qualité de motoriste.
Un accord de partenariat est signé avec Williams qui sort d’une saison compliquée avec un modeste V8 Judd.
Riccardo Patrese est reconduit dans l’équipe tandis que Nigel Mansell file chez Ferrari en remplacement d’Alboreto. Le choix de Frank Williams se porte alors sur Boutsen qui est en fin de contrat chez Benetton. Ses qualités de metteur au point ne seront pas de trop au moment de débuter une association inédite.
A l’instar d’un Alain Prost, l’exercice des qualifications n’est pas le point fort de Thierry Boutsen. Sur la totalité des 16 manches il ne devance que 4 fois Patrese sur la grille.
En revanche en course la domination de l’Italien est nettement moins flagrante. Un peu plus régulier et auteur de 6 podiums, Patrese termine la saison troisième derrière les intouchables Prost et Senna. Boutsen est cinquième derrière Mansell mais à seulement trois points de son équipier.
Surtout, une première fois à Montréal, puis une seconde à Adélaïde, il aura enfin intégré le cercle des vainqueurs de Grand Prix. D’un point de vue historique il reste à jamais le premier pilote à s’être imposé avec un V10 Renault dans le dos. Bien d’autres victoires suivront pour le bloc français.
Lors de cette année 1989, il est désigné « sportif belge de l’année » comme Jacky Ickx 7 années auparavant.
1990: Victime du management impitoyable de Williams
En 1990 le duo Boutsen-Patrese est reconduit chez Williams. La FW13B reste une monoplace compétitive mais McLaren, Ferrari et la Benetton de Nelson Piquet restent un cran au-dessus.
Malgré cela Thierry Boutsen poursuit sur sa lancée et domine Patrese sur l’ensemble de la saison qu’il boucle à la sixième place avec 34 points.
En Hongrie il réussit de manière incontestable la course de sa vie. Auteur de son unique pole position en carrière il mène de bout en bout et résiste aux attaques de son grand ami Ayrton Senna.
Durant sa carrière en F1, Thierry Boutsen aura été le pilote le plus proche du champion brésilien. Quelques semaines avant son décès à Imola il était devenu le parrain de son fils aîné Kevin.
En dépit de cette saison encore solide et de cette troisième victoire, le Belge n’est plus en odeur de sainteté chez Williams. Pour preuve, à son retour dans le garage Williams à sa descente du podium à Budapest, Frank Williams et Patrick Head ont déjà filé sans même un message de félicitation pour leur pilote victorieux.
Et c’est sans surprise qu’il apprend son éviction au profit de Nigel Mansell qui est revenu sur sa décision de prendre sa retraite.
Thierry Boutsen quitte la F1 par la petite porte
Malgré ce débarquement, Renault a gardé une grande estime pour Thierry Boutsen. C’est ainsi qu’il est recasé chez Ligier-Lamborghini en 1991 aux côtés du débutant Erik Comas.
On peut dire que l’équipe française a littéralement touché le fond en cette saison 1991. Toujours qualifiés en fond de grille, ni Comas, ni Boutsen ne parviendront à marque le moindre point.
Malgré l’arrivée du V10 Renault ancienne génération dans la Ligier, la saison 1992 est à peine meilleure. Erik Comas marque toutefois quelques petits points au coeur de l’été. Quant à Boutsen, il doit attendre son dernier Grand Prix en bleu à Adélaïde pour terminer cinquième. Ses premiers points depuis deux ans!
Sentant que chez Ligier on se préoccupe plus d’une éventuelle arrivée d’Alain Prost que de lui, le Bruxellois décide d’en rester là.
En 1993 il participe à quelques Grands Prix chez Jordan en remplacement d’Ivan Capelli. Mais dominé par son jeune équipier Rubens Barrichello et sans doute un peu démotivé il quitte la F1 sur un abandon à Spa-Francorchamps. 10 ans après ses débuts sur ce même circuit la boucle est bouclée.
Avec 164 Grands Prix au compteur, 1 pole position, 3 victoires et 15 podiums il peut être satisfait de son passage en Formule 1.
Seconde carrière en endurance
Au début de sa carrière, Thierry Boutsen avait goûté (et apprécié) l’endurance, notamment en participant à deux reprises aux 24 heures du Mans.
Tout proche de la victoire au Mans
Lorsque Peugeot le contacte pour piloter la 905 EVO 1B dans la Sarthe en 1993 il signe des deux mains.
Il fait équipe avec Yannick Dalmas et Teo Fabi dans la voiture affublée du numéro 1. Mais alors qu’il sont en tête, il sont retardés au stand pour un changement d’échappement. En passe de signer un triplé historique, Jean Todt ordonne alors à ses équipages de rester sur leurs positions et la victoire revient à la numéro 3 d’Eric Hélary – Christophe Bouchut – David Brabham.
Thierry Boutsen et ses équipiers se contentent du premier accessit.
Il participe ensuite à six autres éditions des 24 heures du Mans et enrichit sont palmarès de deux podiums supplémentaires (troisième en 1994 sur Dauer-Porsche 962 et deuxième en 1996 sur une Porsche GT1).
En 1998 il est recruté par Toyota pour piloter la GT-One . A cette époque on parle de malédiction pour le constructeur nippon qui, bien que favori, ne parvient pas à concrétiser en course. Cette première tentative au Mans avec Toyota se termine par un abandon, transmission cassée.
Grave accident aux 24 heures du Mans 1999
Au début de l’année 1999, à 42 ans Thierry Boutsen envisage sérieusement de raccrocher le casque.
C’est lors d’une session d’essai de nuit sur le circuit Paul Ricard que le doute commence à s’insinuer en lui. Il se demande ce qu’il fait là à rouler à plus de 350 km/h dans le noir.
Il veut toutefois terminer sa carrière sur une bonne note et poursuit avec Toyota au Mans pour la dernière édition du siècle.
Mais la chance qui l’avait épargné jusque là le lâche subitement dans la nuit mancelle. Dans les Hunaudières il perd subitement le contrôle de sa GT-one à près de 300 km/h. Le choc, presque de face contre le rail, est d’une extrême violence.
Thierry a des vertèbres cassées et quitte le circuit dans l’ambulance avec les jambes paralysées. Une délicate opération à Paris permet de réduire la compression de sa moëlle épinière. Il pourra remarcher mais au terme d’une longue période de convalescence. Deux ans lui seront nécessaires pour pouvoir se passer d’anti-douleurs.
Toujours optimiste, il dira que ce n’est pas plus mal que ce grave accident lui soit arrivé pour sa dernière course. S’il l’avait eu à ses débuts il n’aurait pas pu poursuivre sa carrière de pilote.
Reconversion réussie dans la vente d’avions d’affaire
Durant sa carrière en F1, Thierry Boutsen a acheté et revendu plusieurs avions pour son usage personnel. Un jour, Heinz-Harald Frentzen vient lui demander conseil car lui aussi veut acheter un jet privé. Thierry l’accompagne jusqu’au bout de la transaction.
C’est donc par le plus grand des hasards qu’il met un pied dans le milieu du courtage d’avions. Ses premiers clients sont des personnalités de la F1 comme Mika Häkkinen, Keke Rosberg, Michael Schumacher ou Guy Ligier.
A partir de 1997 il créé Boutsen Aviation à Monaco et se lance pleinement dans cette activité. Depuis sa création la société a vendu plus de 370 appareils dans 70 pays différents.
Il a aussi gardé un pied dans le monde du sport automobile en créant avec son beau-frère Olivier Lainé la structure Boutsen Ginion Racing qui engage des protos et des GT dans des épreuves de sprint et d’endurance. Son fils Kevin en est l’un des ingénieurs.
Pour sa part il a pris ses distances avec la F1 même si on l’a vu piloter une March ex-Lella Lombardi à l’occasion du Grand Prix de Monaco historique 2018.
65 réflexions sur “ Thierry Boutsen: Qui est le dernier vainqueur belge au volant d’une Formule 1 ? ”
Les commentaires sont fermés.